La coopération allemande au développement est sous le feu des critiques. Lors de l’élaboration du nouveau budget pour 2024, les fonds destinés à la coopération au développement ont été réduits d’environ 700 millions d’euros par rapport à 2023. Parallèlement, le débat public sur l’efficacité et l’impact de l’aide allemande au développement prend de l’ampleur. Dans son essai, Roger Peltzer fait des propositions concrètes pour améliorer l’efficacité de l’aide allemande au développement et pour mobiliser davantage de ressources de marché hors budget pour le financement du développement.
Le budget du BMZ a été réduit d’environ 700 millions d’euros en 2024 par rapport aux prévisions budgétaires de 2023. Cela implique des coupes douloureuses dans de nombreux postes budgétaires. Ce n’est évidemment pas la bonne solution. En principe, l’Allemagne ne devrait pas seulement investir davantage dans la coopération au développement afin de rester innovante et compétitive et de contribuer à la cohésion dans le monde unique. Pour cela, il faudrait supprimer le frein à l’endettement et/ou augmenter Stuern. Mais il n’y a actuellement pas de majorité pour cela, ni au Parlement ni dans la population. C’est aussi pour cette raison qu’il faut réfléchir à la manière de tirer le meilleur parti des ressources et des possibilités existantes.
Parallèlement, il existe un débat public de plus en plus important sur la pertinence de la coopération allemande au développement. La communauté du développement serait bien inspirée de ne pas rejeter ces critiques comme étant simplement des déclarations à prendre au sérieux de la part de certains politiciens de la CDU, du FDP ou de l’AFD.
Le scepticisme ambiant à l’égard de la politique établie se nourrit précisément d’un mécontentement généralisé quant à la manière dont l’argent public est géré. Le débat sur les budgets des radiodiffuseurs publics en est un exemple. Pendant longtemps, les directeurs artistiques ont tenté d’ignorer ce débat ou de réagir par des propositions d’économies assez marginales. Aujourd’hui, le « Conseil de l’avenir » mis en place par la Commission de la radiodiffusion des Länder a formulé des propositions très ambitieuses pour la réforme d’ARD et de ZDF, notamment en raison de la pression croissante de l’opinion publique.
Un tel débat sur les réformes fondamentales touche actuellement de nombreux domaines de l’action publique : il s’agit de réduire de moitié les délais d’autorisation pour les éoliennes, de réformer en profondeur l’administration publique des constructions afin d’accélérer considérablement les demandes de permis de construire et les nouvelles constructions, etc. La coopération au développement doit également faire face à ce débat sur l’efficacité afin de a) de préserver leur crédibilité ; et b) générer autant d’avantages que possible pour la coopération internationale à partir des ressources et des structures existantes. Il y a de fortes raisons de penser qu’en maintenant les avantages pour les bénéficiaires dans les pays du Sud, il est possible de réaliser des économies massives sur les coûts de mise en œuvre de la coopération au développement. Tout porte à croire que des centaines de millions d’euros pourraient ainsi être utilement réaffectés ou mobilisés en dehors du budget.
De quoi s’agit-il ?
1. Mobilisation des ressources locales
Dans la conception traditionnelle de la coopération au développement, on part du principe que les transferts financiers doivent aller du Nord vers le Sud mondial. En réalité, les pays du Sud disposent souvent d’importantes ressources financières qui ne sont pas ou trop peu utilisées pour le financement du développement. Ainsi, dans de nombreux pays d’Afrique, les banques commerciales disposent d’importantes liquidités inutilisées. Il en va de même pour les fonds de pension dans ces pays. Rien qu’en Afrique, il s’agit probablement de plusieurs milliards d’euros.
L’utilisation de ces fonds pour le financement du développement échoue notamment parce que les épargnants de ces pays ne placent leur argent qu’à court terme, ce qui signifie que la plupart d’entre eux ne peuvent pas l’utiliser pour refinancer des crédits à long terme. Les fonds de pension ne sont souvent pas autorisés à investir 5 % ou 10 % de leurs actifs dans des start-ups en raison de la législation locale. Si cela était possible, la scène vivante des start-ups au Kenya ou au Nigeria pourrait être financée en grande partie localement, sans avoir recours aux « fonds de développement » de l’Occident.
Si l’on veut mobiliser davantage de ressources locales, il faut aborder la réglementation dans les pays concernés par le biais de conseils. Mais il faut aussi réfléchir beaucoup plus à des garanties partielles ou à d’autres formes de prise de risque partielle (first loss) par les bailleurs de fonds, afin de mobiliser 80% de ressources locales via ce levier en utilisant par exemple 20% de financement de l’aide. Ces 80% locaux ne contribuent évidemment pas au taux d’APD, mais celui-ci ne devrait pas non plus être le critère déterminant pour un financement judicieux du développement.
2. combinaison de fonds de marché et de financement budgétaire
Depuis de nombreuses années, la KfW-Entwicklungsbank refinance ses prêts pour des projets utiles au développement non seulement par des ressources budgétaires (HH), mais aussi par des fonds qu’elle lève sur le marché des capitaux. Grâce à une combinaison judicieuse avec les fonds d’aide humanitaire utilisés, les fonds refinancés par le marché peuvent également être pris en compte dans une large mesure dans le quota d’APD allemand. Depuis des années, ces fonds de marché utilisés pour les crédits de développement dépassent – parfois nettement – les fonds du budget BMZ pour la coopération financière.
Le modèle d’affaires de la DEG – Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft (société allemande d’investissement et de développement) suit également cette logique : au lieu d’utiliser les fonds de l’aide humanitaire, il faut utiliser les fonds du marché des capitaux pour financer les entreprises dans les pays en développement. Avec environ 1,5 milliard d’engagements par an, la DEG joue un rôle nettement moins important dans le financement du développement que sa maison mère KfW, mais elle joue néanmoins un rôle important, avec ses organisations sœurs d’autres pays, dans la réalisation de projets d’investissement dans le Sud mondial.
Aujourd’hui, les potentiels de financement de la KfW-Entwicklungsbank et de la DEG sont massivement limités par une réglementation de plus en plus restrictive. Toutes deux sont soumises à la surveillance de la BAFIN (autorité de surveillance financière des banques) au même titre que les banques commerciales. En fait, cela n’a aucun sens, puisque la KFW et la DEG sont censées financer précisément les cas où les banques commerciales ne sont pas prêtes à assumer les risques correspondants. Cependant, la BAFIN et d’autres réglementations obligent de facto la KfW et la DEG à prendre leurs décisions d’investissement sur la base des mêmes calculs de risque que les banques commerciales.
La réglementation extrêmement bureaucratique et les coûts qui en découlent font que la DEG ne se sent plus en mesure de financer sur ses fonds propres les investissements des entreprises de taille moyenne dans le Sud mondial : trop risqué (selon les critères BAFIN, pas en réalité), trop de travail. La DEG s’est également retirée de certaines formes de financement agricole. Ainsi, ces segments sont désormais couverts par la mise à disposition de fonds de l’aide humanitaire, par exemple pour le programme Africa Connect (désormais Global Connect) de la DEG ou pour le fonds AATIF de la KfW (financement agricole). Comme ces fonds HH ne sont pas soumis à la réglementation, ces instruments peuvent fournir des financements à faible coût et de manière flexible. En fait, c’est totalement contradictoire : pour une forme de financement public (la KfW et la DEG sont des entreprises publiques), seule la réglementation est possible, pour l’autre, non.
Mais la KfW-Entwicklungsbank est également limitée dans ses possibilités par une réglementation excessive et les directives du ministre des Finances. Un exemple : l’extension et l’entretien du port de Douala au Cameroun ont été financés pendant des décennies par des crédits de la zone franche, que les Camerounais ont tous sagement remboursés. Aujourd’hui, la FZ a – et c’est compréhensible – d’autres priorités au Cameroun. Toutefois, la KFW-Entwicklungsbank pourrait naturellement intervenir avec des fonds du marché auprès d’un client de longue date présentant une bonne solvabilité. Mais elle ne peut pas le faire parce que le gouvernement fédéral ne fournit pas le cadre de garantie correspondant. On préfère alors laisser le champ libre aux financiers émiratis ou chinois.
Il est donc temps de repenser et de réviser en profondeur l’ensemble de la structure de réglementation et de couverture des risques de la KFW et de la DEG. Il est possible d’y optimiser beaucoup de choses sans devoir augmenter les risques de défaillance. Et surtout, cela permet de générer des ressources supplémentaires pour le financement du développement sans peser sur le budget.
3. la séparation entre la coopération financière (CF) et la coopération technique (CT) et le modèle économique de la GIZ
Si l’on compare la gestion de la coopération bilatérale en Allemagne et en France, on constate qu’en France, la coopération au développement et la coopération technique sont réunies sous un même toit, celui de l’AFD (Agence française de développement). L’AFD s’est engagée à financer le Sud mondial à hauteur d’environ 12 milliards en 2022. Cela correspond à peu près au montant du budget du BMZ (bien que l’AFD fasse probablement appel à des fonds de marché, comme la KfW- Entwicklungsbank). Cependant, alors que la GIZ et la KfW-Entwicklungsbank emploient ensemble environ 26.000 personnes, dont 25.000 à la GIZ, l’AFD gère le même volume avec environ 5.000 employés.
Maintenant, il y a certainement un certain nombre de particularités spécifiques à chaque pays qui expliquent en partie ces différences. Mais la majeure partie de la différence s’explique par le fait que la GIZ suit un modèle commercial assez unique au monde. Elle met en œuvre la coopération technique pour son propre compte, c’est-à-dire qu’elle utilise son propre personnel pour réaliser ses projets dans le Sud mondial. En revanche, la KfW-Entwicklungsbank lance des appels d’offres pour la mise en œuvre des projets de coopération financière, aussi bien pour les services de conseil nécessaires que pour la fourniture du « produit » (routes, éoliennes, dispensaires, etc.). En ce sens, la construction d’une route dans un PC n’est pas supervisée par un ingénieur civil de la KfW, mais par une société de conseil mandatée.
La spécificité du modèle d’affaires de la GIZ est justifiée par le fait que la fourniture de services de conseil, l’activité principale de la GIZ, a un caractère différent du financement d’infrastructures tel que le propose la KfW- Entwicklungsbank.
Et en effet, la GIZ peut se prévaloir du fait que les donateurs d’autres pays, les grandes fondations privées ou même l’UE font parfois appel aux structures de conseil de la GIZ pour réaliser leurs propres projets sur place.
Mais dans l’ensemble, il est certain qu’une grande partie des conseillers de la GIZ sur place pourrait être remplacée sans problème par des spécialistes externes et surtout par des promoteurs locaux. La simple comparaison avec l’AFD le montre. Ce serait plus rentable et plus efficace à bien des égards. Il convient également de remettre en question la configuration très spécifique de l’Allemagne, à savoir la séparation des zones franches et des zones franches. La coopération technique et la coopération au développement coopèrent dans de nombreux projets, ce qui entraîne d’énormes frictions bureaucratiques par rapport à une solution organisationnelle dans laquelle la coopération technique et la coopération au développement sont fournies par une seule et même entreprise. Il serait certainement intéressant que les représentants de l’AfD expliquent comment fonctionne chez eux le modèle de la zone franche et de la zone franche unique.
4. réduction de la bureaucratie et rationalisation des processus
Comme presque tous les autres domaines de l’administration publique, l’administration de la coopération au développement se caractérise par une bureaucratisation croissante. Cela est dû, d’une part, à l’augmentation constante des exigences en matière de réglementation et de conformité. Les processus de décision et de concertation de plus en plus longs (avec le nombre de réunions correspondant), la réticence croissante des responsables à prendre des décisions, les hiérarchies de plus en plus complexes et les organigrammes tentaculaires, les doubles structures et les doubles rapports, etc. sont autant d’éléments typiques.
Il y a un besoin massif de réforme dans ce domaine. De nombreuses réglementations ont un sens et le monde ne peut évidemment pas être ramené 30 ans en arrière. Mais il faut systématiquement se demander si chaque projet doit répondre à l’ensemble des objectifs de la politique de développement, d’autant plus que dans la réalité, cette exigence est souvent prise en compte par un « lyrisme » sophistiqué lors de la présentation des demandes et des rapports. Il convient également de se demander si les petits projets/projets doivent être évalués selon les mêmes grilles de risques et d’objectifs qu’une grande centrale hydroélectrique, par exemple.
Les décisions peuvent être déléguées vers le bas et le nombre de personnes à impliquer peut être considérablement réduit. La délégation de tâches à des consultants et organes externes , notamment dans le Sud, recèle un potentiel d’économies et d’efficacité considérable. Les structures extérieures de la coopération au développement pourraient être considérablement allégées.
Conclusion
Lors du débat sur les économies actuelles dans le budget du BMZ, un observateur avisé a demandé si un ambassadeur d’un pays du Sud global s’était plaint de ces économies ? Ce n’était probablement pas le cas, ce qui en dit long sur l’importance accordée à la coopération allemande dans nos pays partenaires. On se souvient de la révolte qui a éclaté en France lorsque l’AA a décidé d’y fermer les succursales de 3 instituts Goethe.
D’un autre côté, la coopération allemande n’a pas à se cacher. Si le Kenya, l’Ouganda ou encore le Maroc tirent aujourd’hui l’essentiel de leur électricité des énergies renouvelables, c’est aussi en grande partie grâce à la coopération allemande, qui a été bien meilleure que les Chinois dans ce domaine. Si la coopération allemande parvient à utiliser ses ressources de manière plus efficace et à mieux combiner l’aide humanitaire avec les ressources du marché et les ressources locales, elle pourra s’affirmer comme un acteur global dans le Sud mondial, en collaboration avec ses partenaires européens.