D’abord le Mali, puis le Burkina Faso et maintenant le Niger : les coups d’État militaires se succèdent. Et ce ne sont pas seulement les militaires, mais aussi une grande partie de la jeunesse politisée du Sahel qui sympathisent manifestement avec la Russie et se positionnent contre l’Occident et en particulier contre la France.

Photo de Hamed Alshabibi

Il faut toutefois préciser que le récent coup d’État au Gabon ne s’inscrit pas dans le schéma évoqué ci-dessus. Au Gabon, il s’agit de remplacer un régime autocratique qui s’est maintenu au pouvoir pendant des décennies, notamment grâce à des élections truquées. Il semble en outre que les militaires souhaitent redonner le pouvoir au Gabon à un gouvernement démocratiquement élu. Aucun sentiment favorable à la Russie ou anti-français n’a été signalé pendant ou après le coup d’État.

Au Sahel, c’est différent. Des gouvernements démocratiquement élus y ont été renversés et il faut donc se demander ce qui a mal tourné au cours des décennies de coopération internationale occidentale et allemande avec les pays du Sahel.

Bien que j’aie personnellement beaucoup voyagé au Sahel, et en particulier au Burkina Faso, je n’ai pas non plus de réponse concluante à cette question, à vrai dire. Au mieux, je peux apporter quelques bribes d’explication au débat.

Tout d’abord, je ne crois guère aux explications proposées aujourd’hui un peu partout, selon lesquelles la politique française, avec son passé colonial, serait en grande partie responsable de cette évolution. Je ne suis pas non plus convaincu par l’affirmation selon laquelle la coopération allemande s’est trop concentrée sur les aspects militaires et qu’elle était en outre trop axée sur l’État et n’a pas assez misé sur les structures décentralisées. Au cours des dernières décennies, la coopération allemande et européenne a investi des milliards d’euros dans des projets de coopération civile au Sahel. Une très grande partie de ce montant a été consacrée à des projets décentralisés dans les zones rurales. Le fait qu’au cours des 3-4 dernières années, dans le cadre des missions de l’ONU et de l’UE, on ait également investi dans la lutte militaire contre les milices terroristes islamiques ne change rien à la grande prépondérance de la coopération civile,

En ce qui concerne le rôle de la France, il faut y regarder de plus près. En 2014 encore, au Mali, l’opération militaire française « Barkhane », qui a empêché le Mali tout entier d’être envahi par les islamistes, a été très applaudie par l’ensemble de l’opinion publique malienne, mais aussi internationale. Cette attitude positive à l’égard des Français évolue ensuite dans les années qui suivent. La question de savoir pourquoi il en a été ainsi est abordée par Olaf Bernau dans un article très instructif publié dans Blätter für deutsche und internationale Politik 9/23. Il prend l’exemple du Mali et affirme que la mission de maintien de la paix des Nations unies (MINUSMA), à laquelle l’Allemagne a participé, n’a pas si mal fonctionné. Elle a largement contribué à la pacification du pays. Or, les Maliens auraient vu cette mission en lien étroit avec la mission militaire française Barkhane, explicitement dédiée à la lutte contre les terroristes islamistes.

Et Barkhane aurait été très critiqué par l’opinion publique malienne ces derniers temps. Ainsi, il a été reproché aux Français d’être trop proches des Touaregs – les Français ont toujours préconisé des solutions négociées avec les Touaregs qui aspirent à l’autonomie – tout comme le manque d’implication des militaires maliens dans les opérations antiterroristes. De plus, il y a eu une fois un nombre important de victimes civiles lors d’une opération militaire française. Maintenant, de mon point de vue, on ne peut pas reprocher aux Français le nationalisme malien avec une aversion marquée pour les Touaregs. Et dans le contexte où des unités militaires maliennes bien formées ont à plusieurs reprises fait défection pour rejoindre les terroristes islamistes, il semble également compréhensible que l’armée française ait fait preuve de retenue dans sa coopération. Il est encore plus incompréhensible que de nombreux Maliens reprochent aux Français de faire des victimes civiles lors d’opérations militaires, alors qu’une grande partie de l’opinion publique au Sahel laisse les mercenaires russes de Wagner commettre n’importe quel crime, aussi grave soit-il.

Il est également remarquable que ce ressentiment anti-français prononcé n’existe pas dans d’autres pays francophones d’Afrique, comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin, bien qu’ils partagent la même histoire coloniale. Même au Cameroun anglophone, on ne trouve pas ces sentiments antifrançais aussi prononcés. L’aide militaire française à l’installation du président élu Ouattara en 2010 en Côte d’Ivoire a mis fin à une longue guerre civile et est largement perçue comme positive.

Le grand festival panafricain du film de Ouagadougou, qui a lieu tous les deux ans au Burkina Faso, n’aurait pas du tout pu avoir lieu sans l’intense coopération culturelle avec la France dans le passé.

On peut également se demander pourquoi la lutte contre les milices terroristes islamistes au Sahel échoue, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les militaires pensent devoir prendre le pouvoir. Au Cameroun, en revanche, Boko Haram semble avoir été « vaincu » avec succès. C’est du moins ce qu’annoncent mes amis de la société cotonnière camerounaise Sodecoton, qui est également active dans les zones temporairement contrôlées par Boko Haram. Pourquoi la lutte contre l’islamisme réussit-elle au Cameroun, sous la direction de l’autocrate décrépit Paul Biya, mais pas au Sahel ? Là encore, plus de questions que de réponses.

Une raison très banale de l’instabilité économique et politique au Sahel, dont les islamistes tirent profit, est le manque généralisé de « bonne gouvernance ». Un exemple tiré de mon activité professionnelle : il y a des années déjà, un grand groupe sud-africain voulait créer une grande plantation de canne à sucre, suivie d’une transformation en sucre et en éthanol, dans une partie du périmètre irrigué « Office de Niger » au Mali, qui avait été mis en place en grande partie avec le soutien de l’Allemagne ou de la KfW. La culture expérimentale avait montré que le sol et les conditions climatiques y auraient permis d’obtenir l’une des meilleures productivités de toute l’Afrique. Les experts de la KfW étaient favorables au projet car la canne à sucre permet d’obtenir la plus grande valeur ajoutée par litre d’eau utilisé par rapport à d’autres cultures. Mais il y a bien sûr eu des oppositions. D’autres investisseurs, principalement arabes, avaient également des vues sur le terrain, les éleveurs craignaient pour leurs pâturages, etc. Comme c’est souvent le cas en Allemagne, il y avait donc différents groupes de pression qui influençaient le gouvernement malien, souvent avec des intérêts totalement opposés. Jusqu’ici, c’est normal : mais ce qui a caractérisé Mal, c’est qu’en 4 ou 5 ans, le gouvernement n’a pas trouvé la force de prendre une décision pour ou contre. Toutes les parties concernées ont été tenues à l’écart jusqu’à ce que les Sud-Africains – qui avaient déjà investi plus de 10 millions de dollars – abandonnent, complètement exaspérés. A ma connaissance, cela n’a pas conduit à la réalisation d’autres projets dans la zone d’irrigation en question au cours des années suivantes.

En revanche, les investisseurs internationaux racontent des histoires bien différentes lorsqu’il s’agit de chefs de gouvernement ghanéens, de Ouattara et de son équipe en Côte d’Ivoire ou encore de Patrice Talon au Bénin. Ces derniers sont généralement très bien préparés aux discussions avec les investisseurs internationaux et prennent assez rapidement une décision claire à l’issue des discussions, qui n’est d’ailleurs pas toujours en faveur des investisseurs, ou leur imposent des conditions claires. Ce n’est évidemment pas le cas de l’ensemble de l’appareil gouvernemental de ces États, mais des exemples positifs sont donnés au niveau des chefs.

Reste la question centrale de savoir comment parvenir à une « bonne gouvernance » ? Là encore, il n’y a pas de formule secrète. Les réponses doivent être trouvées au cas par cas, et souvent, la seule solution est d’attendre (par exemple, jusqu’à ce que la sympathie pour les Russes ait fait place à la désillusion). D’autre part, dans le cas de la Côte d’Ivoire, l’intervention des Français en faveur du vainqueur des élections, Ouattara, a été une bonne décision.

Attendre, intervenir, faire du « institution building » ? Dans ce blog, nous essayons de donner un aperçu de ces questions difficiles à travers différents exemples.

Autor

  • 70 ans, marié, trois enfants et bientôt quatre petits-enfants. J'ai étudié l'économie à l'université de Münster, puis j'ai suivi le cours de troisième cycle de l'Institut allemand de politique de développement (aujourd'hui IDOS).

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Qu'est-ce qui se passe au Sahel : des décennies de coopération au développement face à un désastre ?

Roger Peltzer


[wpml-string context="pb-bioinfo" name="info-1"]70 Jahre alt, verheiratet, 3 Kinder und 4 Enkelkinder. Ich habe an der Universität Münster Volkswirtschaft studiert und anschließend den postgraduierten Kurs am deutschen Institut für Entwicklungspolitik (heute IDOS) absolviert.[/wpml-string]


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