La crise alimentaire internationale de 2008 a donné lieu à un vaste débat sur la manière d’encourager les investissements dans la production alimentaire en Afrique. Le Fonds d’investissement Zebu a ainsi été créé pour investir dans l’agriculture africaine. Dennis Matingira est depuis lors le gestionnaire du fonds. L’interview qu’il nous a accordée se concentre sur les enseignements tirés et examine les raisons pour lesquelles les banques de développement occidentales ont largement abandonné le financement de l’agriculture primaire en Afrique au profit d’investisseurs asiatiques et ce qui peut être fait pour inverser cette tendance.
Question : Vous avez travaillé pendant 20 ans dans le domaine du capital-investissement aux États-Unis. Quelle a été la raison et la motivation de votre retour en Afrique et de la création d’un fonds d’investissement dans l’agriculture africaine ?
Réponse : 2008 a été l’année de la grande crise alimentaire mondiale. Les prix de presque tous les produits agricoles ont grimpé en flèche. C’est à ce moment-là que différents donateurs, tels que la Banque africaine de développement, Proparco, le gouvernement espagnol, l’AGRA et d’autres, ont réfléchi à la manière dont ils pourraient soutenir la production agricole en Afrique. Le résultat a été la création en 2011 d’un fonds doté de 300 millions de dollars, le Fonds agricole africain (AAF). Reconnaissant que la production agricole en Afrique est dominée par les PME, il a été décidé de créer un fonds d’investissement pour les PME. Les bailleurs de fonds de l’AAF souhaitaient consacrer environ 30 % de leurs ressources finales (estimées à 80 millions de dollars) à un sous-fonds axé sur les PME (le Fonds AAF pour les PME), qui serait spécifiquement utilisé pour financer les investissements des PME. L’appel à propositions (RFP) pour la création de ce fonds AAF SME a été remporté par la Data Bank du Ghana. Databan nous a ensuite recrutés, mon partenaire Brian Frimpong et moi-même, en tant que cofondateurs de la société de gestion (Databank Agrifund Mangnnanger) chargée de gérer le fonds. C’était un défi passionnant pour moi. Après avoir passé de nombreuses années aux États-Unis, je voulais mettre mon talent et mes connaissances au service du développement de mon continent d’origine.
Question : Quels étaient les objectifs et les instruments du Data Bank Agri Fund, qui est ensuite devenu ZEBU-investment ?
Réponse : Le fonds devait fournir des fonds propres et des instruments de quasi-fonds propres pour financer les investissements agricoles des PME sur l’ensemble du continent. Le fonds était initialement conçu pour une durée de 10 ans. L’objectif était donc de vendre les investissements au plus tard au bout de 10 ans, si possible avec un bénéfice, afin de générer un rendement pour les investisseurs. Il s’agissait en outre d’examiner s’il était possible de réaliser des investissements agricoles rentables en Afrique au niveau des PME. Si cela s’avérait exact, on espérait que cela servirait de catalyseur pour davantage d’investissements dans la chaîne de valeur agricole sur le continent, dans un secteur qui n’intéresse que peu les investisseurs commerciaux. Nous disposions également d’une facilité de 6 millions de dollars de l’Association technique, qui a été mise à la disposition du fonds.
Question : Et ces objectifs ont-ils été atteints ?
Réponse : Oui et non. Nous avons financé des projets agricoles dans toute l’Afrique et sur des marchés frontaliers allant de l’Éthiopie au Kenya, à l’île Maurice, au Burkina Faso, au Nigeria et au Cameroun. Certains de ces investissements ont également été très fructueux et ont permis d’améliorer considérablement la situation alimentaire dans les pays concernés, ce qui était la motivation initiale de la création du fonds. Au Cameroun, par exemple, nous avons financé la construction de la plus grande ferme porcine d’Afrique centrale, avec un abattoir attenant et des points de vente à Yaoundé et Douala. Les discussions avec le gouvernement sur la propriété foncière et notre capacité à investir ont entraîné quelques changements positifs de la part du gouvernement sur les questions de propriété foncière. Au Burkina Faso, nous avons aidé le parrain local à développer un élevage de poulets qui couvre désormais près de 45 % des besoins en œufs du pays. Au Zimbabwe, nous avons acheté une société cotée en bourse, qui a ensuite été retirée de la cote, le plus grand domaine d’agrumes avec une usine de jus avec laquelle nous avons travaillé pour obtenir une certification Coca-Cola.
Question : Et quelles ont été les difficultés ?
Réponse : Les risques d’investissement en Afrique sont particulièrement élevés par rapport à d’autres continents. Par exemple, des investissements réussis peuvent être « victimes » de guerres civiles, comme cela a été le cas pour un très bon investissement que nous avons réalisé en Éthiopie, où pratiquement toute l’installation a été détruite. Les coups d’État successifs au Burkina Faso pendant notre phase de désinvestissement ont retardé notre sortie de plusieurs années, et les menaces politiques pesant sur notre partenaire local à Madagascar ont finalement conduit à la liquidation de notre entreprise d’engrais organiques. Les variations climatiques, les fluctuations des prix sur les marchés mondiaux des matières premières agricoles, les changements brusques de l’environnement réglementaire mettent les investissements sous pression, tout comme, par exemple, les épidémies qui touchent le bétail et qui ne sont pratiquement pas assurables en Afrique (nous avons dû faire face à une épidémie de grippe porcine au Cameroun et à deux épidémies de grippe aviaire au Burkina Fasso).
Dans ce contexte, un investissement réussi peut rapidement être frappé par un choc externe. La sortie/vente prévue doit alors être reportée jusqu’à ce que l’entreprise ait digéré le choc quelques années plus tard. Dans ce contexte, l’attente des donateurs, c’est-à-dire des banques de développement, de pouvoir vendre avec succès la majorité des investissements dans les 10 ans est irréaliste. Il serait préférable de mettre en place un tel fonds agricole avec une fin ouverte, mais de viser un rendement minimal courant. Il est toujours possible de convenir de possibilités de sortie individuelles pour les différents donateurs.
Question : Qu’avez-vous appris d’autre au cours de vos plus de 13 années passées chez Zebu Investment ?
Réponse : Lorsque nous sommes passés au Fonds II (Fonds de sécurité alimentaire pour l’Afrique), nous avons décidé de nous pencher de manière approfondie sur les goulets d’étranglement que nous avions rencontrés lors de notre expérience avec le Fonds I. Nous avons également examiné la question de l’accès des PME aux financements. Les principaux goulets d’étranglement pour les PME étaient la disponibilité des financements locaux, qui nécessitaient un soutien au bilan, et les structures de financement qui permettaient de soutenir les exportations. La société de portefeuille dans laquelle nous avons investi en Afrique du Sud a mis au point une solution technologique complète pour éliminer les prêts sur bilan et se concentrer sur l’historique des agriculteurs, les opérations en cours de saison et la productivité des agriculteurs, de sorte que les banques pouvaient plus facilement accorder des prêts pour la gestion des risques en temps réel et que les compagnies d’assurance disposaient également des données nécessaires pour proposer des assurances abordables. Cette solution logicielle a suscité un grand intérêt de la part de nombreuses banques et coopératives agricoles impliquées. Le fonds a également créé une société africaine de financement du commerce, qui propose des financements intermédiaires pour les produits agricoles de base africains, aidant ainsi à éviter les pertes post-récolte et à promouvoir la commercialisation à l’étranger. Pour diversifier le portefeuille, nous avons également investi dans la plus grande ferme de volailles fermières d’Afrique du Sud et acquis le plus grand opérateur de chaîne du froid au Mozambique…
Question : Si vous écoutez les banques de développement en Europe aujourd’hui, leur volonté d’investir dans l’agriculture africaine est pratiquement nulle. Beaucoup d’entre elles ont fermé leurs départements concernés. Tout au plus investit-on encore dans la transformation de produits agricoles primaires. Outre les risques mentionnés, la crainte est grande de se retrouver sous le feu des critiques publiques en raison de risques environnementaux et sociaux supposés ou réels. L’Occident se retire-t-il du financement de l’agriculture en Afrique ?
Réponse : Malheureusement, c’est largement le cas. Par peur de perdre de l’argent ou de faire quelque chose de mal, on préfère laisser le champ libre aux investisseurs asiatiques. Mais cela ne peut pas être la solution. Je préconiserais de donner un nouvel élan au financement agricole à orientation commerciale pour l’Afrique. Toutefois, il ne faut généralement pas s’attendre à des sorties à relativement court terme et une tranche de première perte (financée par des fonds publics) devrait également être intégrée pour les pertes, qui se produiront en fait toujours dans le contexte africain. L’agriculture est l’un des principaux leviers de développement de l’Afrique. Elle est également essentielle pour répondre aux besoins alimentaires d’une population en croissance rapide. Il est donc intéressant de réfléchir à la manière dont ce secteur pourrait être à nouveau financé par les banques de développement européennes, mais aussi par des investisseurs privés. D’un point de vue empirique, dans les deux fonds, les investissements agricoles primaires ont sans surprise surpassé les investissements secondaires et tertiaires. L’intentionnalité et l’horizon temporel sont donc d’une importance cruciale. C’est pourquoi, dans le cadre de notre projet de Fonds III, nous nous concentrons désormais sur la création d’un véhicule durable qui permette un calendrier flexible et offre aux investisseurs un flux de trésorerie continu chaque fois que l’environnement le permet.
Photo de couverture : KfW-Bildarchiv / Jonas Wresch ; URL : /?doi=kfw-dam-270821
